Saisissant Portrait de femme
Dans le cadre du 1er anniversaire de la mort du dramaturge Michel Vinaver, les jeunes comédiens de la compagnie La Loutre, ont interprété avec force et sincérité son intemporel Portrait de femme au théâtre de la Reine Blanche. Un travail savamment orchestré par la mise en scène inspirée de Matthieu Marie.
Romancier et dramaturge, Michel Vinaver (1927-2022) est un auteur majeur du théâtre contemporain avec des œuvres comme Les Coréens, Les Huissiers ou Iphigénie Hôtel. Grand prix du théâtre de l’Académie françaiseen 2006, il a travaillé avec les plus grands metteurs en scène : Roger Planchon, Alain Françon, Antoine Vitez …
Portrait d’une femme (1984) évoque un fait divers qui avait frappé les esprits dans les années 50. Une femme est alors jugée et condamnée pour le meurtre de son amant sans que quiconque, et surtout pas l’appareil judiciaire, ne parvienne à décider d’un mobile réellement satisfaisant.
À l’origine il y a la France de l’après-guerre, qui juge une femme, dont l’adolescence dans la guerre a fait qu’elle ne peut pas ne pas être coupable. N’en disons pas plus : ce serait risquer de trahir la nature de la pièce, qui ne fait pas le procès du procès mais donne une seconde vie à l’événement, et ressuscite avec lui la femme qui en est le cœur. Une femme en France en 1953. Avec son exigeante et fragile liberté.
Michel Vinaver, comme il le fera tout au long de sa vie quand il s’intéresse à une « affaire « , prélève et collecte dans la presse quotidienne ce qui s’y rapporte. Ici, les comptes-rendus du procès dans le journal Le Monde.
Michel Vinaver est alors au début de sa carrière d’auteur « écrivain de théâtre » comme il se définit. Mais, ce n’est que 30 ans plus tard qu’il écrira Portrait d’une femme. Pourquoi 30 ans ?
Pour que la lumière crue du présent immédiat se nuance et se diffuse dans un tableau devenu mémoire, et pour que la réalité des paroles d’un procès scrupuleusement reproduites dégage un parfum d’étrangeté mieux capable de restituer le drame silencieux qui se jouait alors.
30 ans après les faits, le moment était venu pour Vinaver, habitué pourtant à traiter ses sujets immédiatement « à chaud », de renouer avec cette histoire qui, il l’a reconnu plus tard, avait sans doute été pour lui la matrice de nombreuses autres. L’ombre amicale d’Albert Camus a sans doute accompagné ce retour, et avec lui le personnage de l’Etranger, cousin de celui de Sophie alias Pauline D.
D’abord mise en scène Sam Walters, Matthieu Marie propose une version moderne. Le projet prend forme en avril 2022, après sa rencontre avec un groupe de onze élèves comédiens du Studio de Formation Théâtrale de Vitry.
Comme une mémoire vive sur le lieu du traumatisme
En avril 2022, plusieurs représentations sont données au théâtre La Reine Blanche révélant l’enthousiasme et le talent du collectif de jeunes comédien.ne.s. Quelques jours avant sa mort, Michel Vinaver avait assisté à l’une d’entre elles. Il l’avait aimée et avait souhaité que Portrait d’une femme puisse être reprise.
« Un chœur. Et l’évidence de la jeunesse. Il fallait la grâce des commencements pour laisser s’épanouir la subtile lumière diffractée de ce poème, qui par la rigueur de la polyphonie et les secousses du montage parvient à dessiner le portrait que le procès, trente ans plus tôt, avait échoué à faire : celui plein d’énigme d’une femme – et d’une France, sous l’Occupation » souligne Matthieu Marie.
Sur la scène du théâtre la Reine Blanche,, il n’y a pasde « décor ». La pièce, son titre nous l’indique, est une peinture. Et la mémoire, comme le rêve, se joue des lieux et des époques ; il faut lui laisser le champ libre. Pas d’autre musique, non plus, que celle des mots, des gestes et des pas.
« Dans notre temps troublé et rendu plus indéchiffrable encore par le bruit assourdissant des fausses certitudes, puisse la parole exacte et paradoxale de ce poème des temps modernes nous éclairer et nous surprendre » conclut le metteur en scène.
Les comédiens de la compagnie de la Loutre : Alexandre Becourt, Arthur Boucheny, Lou Dubernat, Inès Fakhet, Gregory Gilles, Clémence Henry, Kessy Huebl-Martel, Matéo Nedellec, Julien Ottavi, Joana Rebelo, Emile Rigaud, Malou Vezon.
Lire les critiques de Véronique Hotte (Hottello) et Jean-Pierre Han (revue- frictions.net).
Portrait d’une femme, de Michel Vinaver (Editions Actes Sud), mise en scène Matthieu Marie avec les élèves du Studio de formation théâtrale de Vitry-sur-Seine. Au Théâtre de la Reine blanche.
